Note éditoriale
Intentio ouvre un espace éditorial pour toute démarche philosophique soucieuse de décrire l’activité de la subjectivité à l’œuvre dans le travail multiforme de production des positivités, du théorème au poème, de la théorie scientifique (dans son éventail le plus large) au texte littéraire ou à l’objet artistique. Pour reprendre une image aussi vieille qu’énigmatique, Intentio est une revue de philosophie au sens le plus plein du terme et se propose, à ce titre, d’étudier la croissance et la structure de l’arbre des connaissances dans toutes ses dimensions et ramifications.
Pour ce faire, aucune logique constituée, aucune forme de rationalité préconçues ne sont prescrites ni exclues. Du reste, sans que nous nous soyons passés le mot, toutes les recherches ici réunies abordent de manière diverse nommément le thème et la question de la « logique philosophique », conçue comme logique de cette pensée multiforme à l’œuvre, de ses savoirs et savoir-faire. Toutes se proposent dans leur style propre d’en suivre la croissance, sans rien préjuger de sa structure ou de son écriture. Mais toute proposition en la matière est appelée à se soumettre à l’épreuve de sa construction interne.
L’analyse logique elle-même est invitée, comme l’exigeait Husserl, à laisser « l’idée de la logique et sa problématique se développer et croître naturellement en nous » [1], à en décrire la croissance depuis ses racines, jusqu’à ses branches les plus hautes, sans négliger l’humus des activités ou passivités (conscientes et préconscientes) dont les savoirs les plus raffinés eux-mêmes ne cessent de se nourrir, pour les métaboliser en des formes et formules parfaites, en de beaux « fruits logiques » : tel théorème de la théorie des probabilités, telle formule de la théorie de l’information, tel principe de la mécanique quantique, une configuration particulière de lettres dans telle œuvre littéraire, ou la gestion des traces ou des blancs dans les logiques formalisées, ou les théories de la calculabilité, etc.
Il y a là une architectonique et une géométrie vivantes qui ne se laissent pas capturer ou administrer dans un formalisme achevé. Si nous admirons ces positivités (littéraires, mathématiques, scientifiques, picturales, etc.) et en goûtons la beauté, ce n’est donc pas par positivisme, littéralisme, réalisme ou scientisme, mais par souci du potentiel de production et de rationalité qui s’exprime en elles et dont elles se soutiennent. En nous tournant vers des objets particuliers, pour le décrire avec la patience et la minutie du botaniste, c’est avec la conviction toute phénoménologique que « tout ce qu’il est possible de produire en général, on doit le montrer dans une production singulière » [2] ; plus radicalement, animé par l’exigence de prouver la possibilité d’une production générale typique sur une production singulière qui l’exemplifie. Parce qu’elle engage la subjectivité, cette production n’est pas un simple processus. Elle est une genèse. Aussi est-ce en observant sa croissance que l’on sera en mesure de montrer ce qu’est en lui-même un « fruit logique ».
Si l’attitude phénoménologique a un sens et une portée épistémologique, elle tient à ce que loin de s’y opposer, observation et construction, réflexion et intuition, interprétation et écriture symbolique, invention conceptuelle et re-collection historique, s’y relaient et se suppléent. Non seulement montrer, mais recomposer, reconstituer, expérimenter, bref construire nous-mêmes, en nous-mêmes, cet arbre logique « dans ses parties fondamentales et selon leur ordre systématique ».
[1] E. HUSSERL, Analyse zur passiven Synthesen, Husserliana XI, M. Nijhoff, La Haye, 1966, p. 320.
[2] Ibid.
Genèse